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Escapades.
11 novembre 2019

Séance de pose.

Ecrit pour Lakevio du Goût . "Femme essuyant son pied" de Degas.

Degas

 

 

––Voyons, Joséphine, cessez de gigoter !

—Berthe, Monsieur, je me nomme Berthe. Joséphine, c'est mon amie.

—Oui. Oui. Passons.

Qu'est-ce qu'elles s'imaginent, ces gourgandines ? Que je vais retenir leur prénom ?

Joséphine, c'est bien. Un seul prénom pour toutes, cela suffit. Ainsi, je n'ai pas à me casser la tête. Joséphine, c'est ma rabatteuse, ma fournisseuse. Je n'ai plus le temps ni l'envie de fréquenter les bordels, surtout depuis que ...enfin, cette maladie me fait tellement souffrir !

 

—Levez la jambe, bon sang ! Mieux que ça.

Mais je rêve ! Ce vieux barbon est un pervers, bouffé par la luxure. Je l'ai entendu tout à l'heure clamer à un ami : « l'art, c'est le vice. On ne l'épouse pas légitimement, on le viole. » Il n'y a pas que son art qui est vice, on dirait. Je devine bien pourquoi il veut que je lève la gambette encore plus haut.

—Dites, Monsieur, vous me payez pour me peindre nue, pas pour mater mon cul.

—Je m'en fous de ton cul bougresse. Comment veux-tu que je saisisse le mouvement si tu ne m'obéis pas ?

 

Le mouvement, le mouvement, quel mouvement ? Il ne parle que de mouvement. J'en ai marre. Depuis qu'il me demande de bouger tantôt d'un côté, tantôt de l'autre devant cette baignoire...Mais elle est sale cette baignoire ! Dégoûtant ! Heureusement qu'il ne m'a pas demandé d'y entrer. Je ne suis pas riche mais notre petit chez-nous, à mon homme et à moi brille comme un sou neuf. Mon homme ! S'il savait que je suis là, je prendrais une volée. En dehors du boulot, il ne veux pas que je me déshabille devant d'autres hommes. Mais c'est de sa faute aussi à Octave. Il prend tout mon argent. Le samedi soir, après le turbin, quand il m'emmène guincher quelquefois je n'ai même pas une belle robe à me mettre. Alors que Joséphine...Il a de la classe mon Octave. Il est tellement beau ! Et ses toilettes ! Toujours à la mode. Il sait y faire avec les jeunettes qui arrivent de leur province. Elles tombent toutes dans le panneau, ces pauvres oies. Comme moi. Mais je l'aime mon Octave. Alors, je le laisse travailler tranquillement. Quelquefois, il me demande gentiment de leur apprendre le métier. J'obéis pour ne pas le mettre en colère.

 

—Idiote ! Pourquoi relèves-tu la tête ? Je ne veux pas que tu me regardes. Pour qui te prends-tu ?

 

Il hurle maintenant. Je ne sais plus comment me tenir. C'est un fou. Elle ne m'y reprendra pas Joséphine. «  tu verras, il est charmant Monsieur Degas. C'est un gentleman.  Et il paie bien.» Elle repassera pour le gentleman. J'espère qu'il va me donner une belle somme, ça oui ! Je ne l'aurais pas volée. Ah ! J'en rêve de ce joli chapeau dans la vitrine de la rue Quincampoix. Je vais enfin pouvoir l'acheter aujourd'hui.

 

—Tu vas rester longtemps comme ça, la jambe en l'air ? Il faut tout te dire. Pose ton mollet sur le bord de cette baignoire. Prends donc cette serviette et essuie ton pied.

 

N'importe quoi ! Mon pied n'est même pas mouillé. Mon Octave est fou de mes pieds. Il les trouve spirituels. C'est vrai qu'ils sont bien faits. Il n'aimerait pas que je les essuie avec ce torchon répugnant mais pourtant finement brodé. Il a du beau linge Monsieur Degas mais sans doute pas de femme pour tenir son ménage ou alors, c'est une souillon. Et si je lui proposais d'être sa lingère ? Ça me ferait un petit pécule supplémentaire pour gâter ma petite Marie. Comme j'ai hâte d'aller la voir chez sa nourrice la semaine prochaine ! Je vais être très gentille avec mon Octave pour qu'il me donne la permission.

—Allez, ouste, c'est assez pour aujourd'hui. Vous êtes assommante. Je travaille mal avec toi. Je me plaindrai à Joséphine.

—Pardon Monsieur. Vous penserez à mon salaire ?

—Hein ? Quoi ? Elle me réclame de l'argent alors que j'ai perdu mon temps, gaspillé de la toile et de la peinture ? Tu n'y connais rien en mouvement. Fiche le camp.

 

Le goujat ! Cette toile est maintenant exposée au Metropolitan Museum of Art à New York.  

Goût. "Femme essuyant son pied" de Degas.

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Commentaires
C
pauvre modèle..
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H
J'adore ton devoir, tu as su te mettre à la place du modèle.
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F
C'est vrai que poser dans cette position ne devait pas être une partie de plaisir !
Répondre
Escapades.
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