Chariots.
32ème devoir de Lakevio du Goût.
"Dites-moi, lectrices chéries, vous ne trouvez pas que de dessin d'Albert Marquet est un beau symbole d'évasion ?"
Chariots.
En découvrant le dessin stylisé d'Albert Marquet, sujet du devoir de ce week-end, j'ai pensé à un enfant poussant un cerceau . Puis, j'ai cherché sur la toile plus de précisions sur cette œuvre et j'ai appris avec un certain étonnement qu'il s'agissait d'une charrette à bras. Je respecte – ô combien – l'interprétation de l'artiste et je trouve cette figuration très belle.
On peut évoquer sans peine tous les métiers d'autrefois qui utilisaient ce genre de véhicule pour les aider au transport de leurs outils ou marchandises : rétameur, ramoneur, tonnelier, marchande des quatre saisons etc...
Pour ma part, c'est une toute autre évocation que m'inspire ce dessin. Comme tous les enfants des campagnes dans les années 60, nous n'avions pas de jouets comme les gamins d'aujourd'hui et nous nous contentions de peu et même de très peu pour occuper nos moments de loisirs. Les jeux se pratiquaient la plupart du temps dehors et par tous les temps.
Mon père nous fabriquait des chariots avec du bois de noisetier ou de châtaignier et notre imagination faisait le reste. Il coupait une branche assez longue et fourchue, attachait ensemble, à l'aide d'une grosse ficelle les extrémités de la fourche, introduisait dans l'espace ainsi obtenu deux branchettes souples qu'il tordait en demi-cercle pour figurer les roues et le tour était joué.
Nous faisions, mes frères et moi des courses effrénées à travers le village pilotant nos drôles de machines. Nous nous mettions à cheval sur la branche et nous étions des cavaliers sur leur monture ou bien nous traînions derrière nous notre charrette et dans ce cas, nous étions nous-mêmes la bête de somme qui peinait à transporter foin, gerbes de blé, pommes de terre. Évidemment c'était encore plus amusant quand l'un d'entre nous conduisait l'attelage avec un aiguillon. Évidemment, nous voulions tous être l'Homme, le maître. Il fallait se disputer âprement pour avoir cette place rêvée.
Bien entendu, celui qui prenait les commandes ne manquait pas de se venger pour les coups reçus pendant l'échauffourée en alignant traîtreusement quelques bastonnades bien senties à l'aide du « guilladou ». Cela se terminait par des hurlements et aussi des punitions de la part des parents quand un traître allait dénoncer la chose. Mais celui-ci ne perdait rien pour attendre...Nous enragions quand, pour mettre un terme à ces jeux barbares, notre mère détruisait nos carrioles et en faisait un tas pour le feu de cheminée.
Ces déambulations dans le hameau ne passaient pas inaperçues. Il faut dire que nous y mettions les formes. Les cavaliers caracolaient en poussant des cris de charretiers il faut bien l'avouer. Quant au maître d'attelage, il excitait son « âne », sa « vache » en jurant pour la faire avancer plus vite. Les « allez, hue, hardi petit » et autres interjections plus grossières s'accompagnaient de sifflements de la baguette de noisetier au-dessus de la tête de « l'animal ». Et que dire quand les charretons improvisés devenaient des voitures et surtout des camions dont le vrombissement infernal retentissait dans tout le quartier ! Les voisins nous regardaient de travers car, au passage, nous effarouchions les basses-cours et les enfants plus petits. Il arrivait aussi que pour faire plus « vrai » nous coupions quelques morceaux de lianes que nous faisions semblant de fumer. Mais ça, c'est une autre histoire : nous ne faisions pas toujours semblant quand nous avions réussi à subtiliser le briquet à essence du grand-père. S'ensuivaient des quintes de toux, des yeux qui pleurent mais qu'importe ! Nous voulions être grands.
Nous étions plein de vie et de ressources et il suffisait de peu pour inventer des jeux : trois branches de bois, trois fois rien et nous passions des heures à courir la campagne, insouciants et téméraires.
Voyez-vous, vous qui me faîtes le plaisir de me lire, je l'ai cherchée là mon évasion pour ce dimanche après midi triste et froid : je me suis replongée pour deux heures dans mes bonheurs d'enfant. Et que ça fait du bien de retrouver cette liberté d'antan par les temps qui courent !