Peau de lapin.
50ème devoir de Lakevio du Goût.
Mais qu'a donc vu ce gamin qui le fait courir si joyeux ? Que vous inspire ou que vous rappelle cette photo de Willy Ronis ?
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Jacquot ! Jacquot ! Viens ici mon petit.
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Pas le temps M'ame Truchot. A ce soir.
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Juste une minute...
Jacquot a déjà filé. Il est tout content et fier de la nouvelle à annoncer à sa mère. Rien ne pourrait entamer sa bonne humeur. Même pas Madame Truchot qui le guette tous les jours pour qu'il fasse ses commissions. Et Dieu sait si Madame Truchot lui porte sur les nerfs. Habituellement, en garçon bien élevé, il consent à aller à l'épicerie du coin pour quelques courses. Mais pas aujourd'hui. Ça non ! Et en plus, la mère Truchot est pingre et se moque de lui. Elle lui donne quelques sous percés qui datent de Mathusalem pour le récompenser. Non seulement elle le prend pour son larbin, mais aussi pour un idiot. Alors aujourd'hui, il ne marchera pas.
Sa baguette sous le bras, il fonce chez lui.
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Mais enfin Jacquot, regarde un peu dans quel état tu ramènes le pain. Ton père va faire joli. Tu sais bien qu'il faut faire attention. Pour lui, le pain c'est sacré et cette baguette ne ressemble plus à rien.
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Maman, Maman ! Devine qui j'ai vu à la boulangerie.
Jacquot, les yeux brillants se plante devant sa mère. Et sans même attendre qu'elle l'interroge – les mamans, ça ne s'intéresse à rien qu'à la cuisine, au ménage et aux vêtements – pour les habits, Jacquot en sait quelque chose lui qui revient de l'école très souvent crotté ou déchiré après une bagarre.
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Maman, j'ai vu Peau de Lapin.
Il guette la réaction maternelle.
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Qui ?
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Peau de Lapin. Le monsieur qui ramasse les vieilles choses.
Soudain Jacquot tressaille et son sourire s'éteint devant l'air contrarié de sa mère. Elle a posé l'égouttoir à salade sur l'évier et s'approche de son fils.
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Tu lui as parlé ?
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Ben oui. C'est lui qui a commencé. Il m'attendait devant la porte du magasin et quand je suis sorti il m'a attrapé par le bras et m'a dit : « tu es un bon petit, toi. » Comme s'il me connaissait. Je le croise quelques fois mais il passe avec sa charrette et ne regarde personne.
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Tu m'entends Jacquot ? Je ne veux pas que tu t'approches de ce bonhomme.
Madame Laurent s'est accroupie devant son fils, lui a pris le menton, plonge ses yeux dans les siens et répète en insistant sur les mots :
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Je – ne – veux- pas – que – tu vois – ce - type. C'est bien compris ?
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Mais Maman, il est gentil. Il m'a même acheté une chocolatine. Et puis, c'est pas tout...
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Comment : c'est pas tout. Quoi encore ?
Madame Laurent a élevé la voix et Jacquot se demande s'il doit poursuivre. Il sent bien que quelque chose chiffonne sa mère. Il devine quoi tout à coup. Trop tard.
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Eh bien, je t'écoute.
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Ben, c'était pour faire des économies pour acheter mon vélo. Comme ça, avec papa, vous n'aurez pas à dépenser...
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Qu'est-ce que c'est que cette histoire. Il t'a donné de l'argent ?
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Mais non. Il m'a demandé si je pouvais l'aider le jeudi à ramasser les vieilleries. Il m'a dit qu'il me donnerait deux francs et si la journée est bonne, il rajoutera quelques pièces pour les bonbons. Je te donnerai les sous Maman si tu veux. C'est épatant non ?
Jacquot a retrouvé son sourire car il pense qu'évoquer l'argent devrait convaincre sa mère. Il sait bien que ses parents tirent le diable par la queue. Naïvement, il croyait faire une bonne affaire tout en rendant service à sa famille. Il a très envie d'un petit boulot. Ce doit être marrant de récolter des choses dont les gens ne veulent plus sur les trottoirs de Tulle et chez les gens. Peut être même qu'il y aura des jouets, des petits soldats... Ça serait chouette !
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De quoi je me mêle ! Tu ne manques de rien il me semble. Je vais tout raconter à ton père. Je vous demande un peu. Je t'interdis, tu m'entends, je t'interdis de le voir.
Et plus bas, entre ses dents : « espèce de vaurien. Je ne te laisserai pas mettre le grappin sur mon petit. Ça suffit. Tu nous fais assez honte. »
Jacquot a entendu et ces paroles le blessent. Il pense que Peau de lapin ne mérite pas qu'on le traite de cette façon. Alors, de rage, en larmes et suffoquant, il crie :
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Je le sais bien moi pourquoi tu ne veux pas que je le vois Tonton Maurice. Oui, je le sais qu'il est mon tonton, le frère de Papa. Il me l'a dit que j'étais son neveu et qu'il m'aimait bien, lui. Je n'irai pas l'aider puisque tu ne veux pas mais chaque fois que je rencontrerai, je l'embrasserai.